Par Jean-Luc Dubois, Correspondant Gastronomique
ALBA, Piémont — Dans les brumes matinales des collines du Piémont, où l’automne pare les vignobles de robes dorées, se cache un trésor souterrain qui fait trembler les gourmets du monde entier : la Tuber magnatum pico, la truffe blanche d’Alba. Et quand ce diamant culinaire rencontre la crémeuse onctuosité d’un risotto parfait, c’est une alchimie qui transcende la simple nourriture pour toucher au sublime. Ce plat, à la fois humble dans ses origines et aristocratique dans son expression, incarne l’âme de l’Italie du Nord, où la terre généreuse et le savoir-faire ancestral s’unissent pour créer une symphonie éphémère.
L’Or Blanc : Une Rareté Capricieuse
La truffe blanche, surnommée “l’or blanc” par les chefs étoilés, est un champignon sauvage d’une rareté légendaire. Contrairement à sa cousine noire, elle refuse toute domestication, ne poussant qu’à l’état sauvage sous les chênes, les peupliers et les saules de certaines régions d’Italie, de Croatie ou de Slovénie. Sa saison, brève et capricieuse, s’étend de fin septembre à décembre, avec un pic en octobre et novembre. Les chercheurs, les trifolau, aidés par leurs chiens fidèles, parcourent les bois au petit matin, leurs pas guidés par un parfum envoûtant décrit comme un mélange d’ail, de miel, de foin humide et de musc. Un parfum si puissant qu’il peut traverser la terre gelée.
Le prix reflète cette rareté : à la célèbre Foire Internationale de la Truffe Blanche d’Alba, les meilleurs spécimens atteignent des sommets vertigineux, parfois plus de 4 000 euros le kilo. “Chaque truffe est unique, une sculpture de la nature”, explique Marco Rossi, négociant historique. “Sa valeur? Elle tient à son poids, sa forme, mais surtout à son arôme : intense mais jamais agressif, complexe mais équilibré.”
Le Risotto : Une Toile de Fond Parfaite
Face à une telle diva, il faut un partenaire à sa mesure. Le risotto, plat emblématique de la Lombardie et du Piémont, s’impose comme l’écrin idéal. Sa magie réside dans une alchimie simple mais exigeante : des grains de riz à grain court (Arborio, Carnaroli ou Vialone Nano), un bouillon maison fumant, du vin blanc, de l’oignon finement haché, du beurre et du parmesan. La clé ? La mantecatura, ce geste ancestral où l’on bat vigoureusement le risotto hors du feu avec une noix de beurre froid et du fromage, créant une texture onctueuse, presque liquoreuse, qui “ondule” dans l’assiette.
“Le risotto est comme une toile vierge”, confie la cheffe étoilée Elena Moretti, du restaurant “La Luna” à Montferrat. “Il doit être parfaitement réalisé — ni trop cuit, ni trop ferme, avec une pointe de al dente — pour accueillir la truffe sans la dominer. Son rôle est de révéler, pas d’écraser.”
L’Art de l’Union : Simplicité et Préciosité
La recette du risotto à la truffe blanche est d’une simplicité trompeuse, où chaque geste compte. Après avoir préparé un risotto classique (saffrané ou nature), on l’arrête de cuire juste avant qu’il ne soit parfaitement tendre. On ajoute alors une généreuse noix de beurre et le parmesan pour la mantecatura. Immédiatement, au moment de servir, on râpe ou on effeuille délicatement à la mandoline des lamelles de truffe blanche fraîche sur le risotto fumant. La chaleur libère instantanément les arômes volatils de la truffe, enveloppant la table d’un nuage enivrant.
“Jamais, au grand jamais, on ne cuit la Truffe noire dété blanche”, insiste le Maestro Gualtiero Marchesi, dont la version légendaire a fait école. “La chaleur excessive la tuerait. Elle doit juste se réchauffer Boeuf Sauté Au Poivre Noir Gourmet Avec Sauce TrufféE contact du risotto. C’est un mariage de respect.” Certains puristes n’ajoutent même pas de parmesan, craignant que son umami ne rivalise avec celui de la truffe. D’autres, comme le chef Massimo Bottura, osent une touche de crème légère ou un jaune d’œuf mollet pour encore plus de richesse.
Sur les Tables Étoilées et à la Maison : Un Rituel
Dans les temples de la gastronomie, de Milan à Paris ou Tokyo, ce plat devient un rituel théâtral. Le serveur présente souvent la truffe entière dans son écrin avant de la râper devant le convive, offrant un spectacle olfactif et visuel. À la maison, même avec un petit morceau de truffe (quelques grammes suffisent), on peut recréer la magie. “Utilisez un bouillon de poule ou de légumes très léger, faites suer l’oignon sans le colorer, et montez le risotto avec du beurre de première qualité”, conseille Sophie Dubois, auteure de “Cuisine d’Automne”. “Et surtout, investissez dans une vraie truffe fraîche d’Alba. Les conserves ou les huiles, même bonnes, ne rendront pas le même hommage.”
Une Expérience Sensorielle Inoubliable
Déguster un risotto à la truffe blanche est une expérience multisensorielle. Visuelle d’abord : le contraste entre le blanc crème du riz et les fines lamelles ocres de la truffe. Olfactive ensuite : ce bouquet explosif de sous-bois, de champignon sauvage, de terre humide et de notes animales qui envahit les narines avant même la première bouchée. Enfin, en bouche, c’est une explosion de saveurs umami, une onctuosité enveloppante, et cette longueur en bouche inimitable qui persiste longtemps après la dernière cuillerée. “C’est l’essence même de l’automne capturée dans une assiette”, s’émerveille un habitué du “Dal Pescatore” à Mantoue.
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Un Plat Éphémère, une Mémoire Éternelle
Le risotto à la truffe blanche est plus qu’un plat ; c’est un moment fugace, une célébration de la saison et du terroir. Sa disponibilité limitée — quelques semaines par an — en fait un objet de désir et de contemplation. Dans un monde où tout s’accélère, il nous rappelle la beauté de l’éphémère et la valeur de la patience. Chaque bouchée est un privilège, un voyage sensoriel dans les forêts mystérieuses du Piémont. Alors que la saison 2023 bat son plein, les amateurs se pressent dans les auberges et les grands restaurants pour vivre cette expérience unique. Car comme le dit un vieil adage piémontais : “La truffe ne se commande pas, elle se mérite”. Et quand elle se marie au risotto, elle offre un souvenir qui, lui, ne s’efface jamais.

